Cette série d'articles décrypte un certain nombre d'arguments avancés par le documentaire anti-éolien intitulé "éoliennes, du rêve aux réalités" réalisé par Charles Thimon, pour le compte de l'association Documentaire et vérité, et diffusé sur You-Tube :
https://www.youtube.com/watch?v=Vf9EbpzDvoY
Ces analyses apportent un contre-point documenté, avec des données chiffrées et sourcées.
Dans ce premier épisode nous traitons les séquence 1 à 4 :
- 00:00 Introduction
- 09:30 Stockage et intermittence
- 18:15 Le modèle allemand
- 22:45 Système européen
Episode 1
00:00 Introduction
L'introduction présente un historique de l'énergie avec un accent particulier sur les dernières décennies, cet historique plante le décor du documentaire sur fond de musique funéraire et deux points ressortent clairement:
- L'impression d'un complot, ourdit par l'Allemagne et visant la France et la supposée excellence de son système nucléaire afin d'imposer les renouvelables "de l'extérieur".
- Le silence sur les aléas récents du nucléaire: Three Mile Island, Tchernobyl, le fiasco de superphénix, Fukushima, le désastre industriel et financier de l'EPR, la dette astronomique d'EDF, la faillite d'AREVA comme si ces évènements n’avaient eu aucune prise sur l’opinion publique et sur les décideurs.
9:45 Stockage et intermittence
La première séquence traite du stockage de l’électricité et des difficultés liées aux sources intermittentes (ou variables, suivant les points de vue)
Documentaire : Il est impossible de stocker de l'électricité , le pompage hydraulique permet de stocker seulement 2% de la production
Le stockage de l'électricité est une vraie problématique compte tenu de la variabilité du solaire et de l'éolien mais ce sujet mérite mieux que la vision très réductrice proposée par le documentaire.
Le reportage n'évoque pas le principe de base mis en avant par le scénario négawatt (https://negawatt.org/) et promis à un bel avenir, à savoir l'interconnexion entre les réseaux d'électricité et de gaz notamment grâce la méthanation : Procédé mis au point par Paul Sabatier au début du 20ème siècle et qui permet de fabriquer du méthane à partir d'hydrogène issu de l'électrolyse et de CO2 prélevé dans l'air. Le gaz renouvelable ainsi fabriqué à partir des excédents éoliens ou solaire peut-être transporté dans le réseau de gaz déjà existant et stocké avec des capacités considérables et proches de 130 Twh soit le 1/3 de la production électrique française et ceci sans aucun investissement de stockage car ces capacités existent déjà ! (pour comparaison un hypothétique parc automobile entièrement électrifié n’apporterait qu’une capacité de stockage de 1,3 TwH c’est-à-dire 100 fois moins).
Comme le biogaz, ce gaz de synthèse peut être utilisé pour le chauffage, la mobilité ou à la limite retransformé en électricité à la demande.
Cela s'appelle le power to gas, c'est en plein développement et c’est incontestablement la meilleure solution de stockage pour l’éolien et le photovoltaïque.
références:
https://www.youtube.com/watch?v=4puf93wkYIQ&t=24s le power to gas vu par Négawatt
https://polytech.univ-nantes.fr/fr/une-ecole-sur-3-campus/actualites/le-demonstrateur-power-to-gas-entre-en-service-sur-le-site-de-la-chantrerie démonstrateur dans une école d'ingénieurs à Nantes
https://www.jupiter1000.eu/ le démonstrateur français
https://www.youtube.com/watch?v=yYbfbP3gsfo vidéo de grdf sur le power to gas
https://negawatt.org/IMG/pdf/210407_webinaireenr_intervention_storengy.pdf Une présentation sur le stockage de gaz , en particulier renouvelable
Sur cette base, il devient possible de réfléchir à une électricité très largement renouvelable comme le propose Négawatt:https://negawatt.org/Le-systeme-electrique-peut-il-fonctionner-avec-100-de-renouvelables-replay
Documentaire : Les éoliennes ne produisent que 25% du temps
C'est un vieil argument anti-éolien mais qui malheureusement marche toujours : Les éoliennes ne tourneraient que 25% du temps, une rumeur avait même circulé il y a quelques années sur le fait qu'un moteur électrique caché faisait tourner les pales en l'absence de vent "pour sauver les apparences".
En réalité il y a confusion entre deux grandeurs physiques qui n'ont rien à voir :
- Le temps pendant lequel tourne une éolienne sur une année qui va dépendre du profil de vent du site: une éolienne commençant à tourner au-delà d'une vitesse de vent de 3m/s, en général une éolienne tourne plus de 80% du temps.
- Le ratio entre l'énergie produite sur un an et le maximum théorique que l'on obtiendrait avec un vent optimal et permanent : ce ratio est de l'ordre de 20 à 25% avec une éolienne à toilage moyen et proche de 40% avec une éolienne à fort toilage (donc avec des grandes pales). Cela s'apparente davantage à une notion de rendement qu'à un ratio marche/marche pas comme le font croire les anti-éoliens et tout cela est évidemment intégré aux calculs de productibles annuels en MWh.
Documentaire : En France, le nucléaire est pilotable
Il est affirmé que le nucléaire français est pilotable, mais ce sujet est très loin de faire l'unanimité, une étude internationale (https://publications.iass-potsdam.de/rest/items/item_2949898_4/component/file_2949901/content ) remet sérieusement cette affirmation en cause y compris pour la France.
D'après cette étude, la montée en puissance maximale est de l’ordre de 5,36 GW en une heure, le quart de la valeur souvent annoncée.
Une synthèse en Français est disponible ici : https://energieetenvironnement.com/2018/03/09/le-nucleaire-inefficace-comme-reserve-denergie-pilotable/
Documentaire : Les promoteurs de l'éolien sont des menteurs car ils ne parlent qu'en puissance installée et jamais en KwH produits
Le tout accompagné d'un défilement de textes à l'écran donnant le nombre de foyers alimentés par un parc éolien et laissant supposer que ce calcul est faux.
Là il faut bien dire que l'on est dans le procès d'intention pur et simple : L'évaluation d'un projet éolien est toujours fait sur la base du productible en MWh par an ne serait-ce que parce les banques se basent sur ce productible pour accorder des prêts. Les calculs ramenés au nombre de foyers alimentés sont toujours effectués sur la base d'un calcul de productible annuel.
Documentaire : Les pays qui ont beaucoup d'éolien ont beaucoup de moyens pilotables thermiques (Allemagne, Espagne, Danemark)
Cela changera avec l’extension des capacités de stockage et ce n'est pas une fatalité, le Danemark est maintenant passé à 75% d'électricité renouvelable et cela ne semble pas conduire à la catastrophe même si il est vrai que ce pays bénéficie aussi d'importations hydroélectriques de ses voisins nordiques : https://www.revolution-energetique.com/la-performance-du-bon-eleve-danois-75-delectricite-renouvelable-en-2019/
Documentaire : L'hiver, il fait très froid, il n'y a pas de soleil et pas de vent, donc on remet en route des moyens thermiques
C'est tout à fait vrai....Et ce n'est pas nouveau, c'est même une caractéristique du réseau français depuis 40 ans bien avant que la moindre pale d'éolienne ne pointe son nez dans l'hexagone.
Et le coupable a un nom : Le chauffage électrique... Pas les renouvelables.
La pénétration du chauffage électrique en France est considérable depuis les années 80, de l'ordre d'un tiers des logements (contre 5% en Allemagne), on parle ici du chauffage «à effet joule» autrement dit les convecteurs électriques muraux.
La conséquence directe, outre la précarité énergétique des plus modestes, est la sensibilité extrême, unique en Europe, du réseau français aux variations de températures, on estime ainsi qu'une baisse de 1°C au coeur de l'hiver conduit à nécessité de mettre en service très rapidement une puissance de 2200 MW pour faire face aux besoins du chauffage électrique et cette puissance est très souvent fossile ou issue des importations ce qui relativise la réputation très usurpée de propreté du chauffage électrique.
En France, la pointe de consommation hivernale ramenée par habitant est ainsi la plus élevée d'Europe, en fait 55% au-dessus de la moyenne (https://negawatt.org/Reduire-la-pointe-electrique-en-France-une-action-necessaire-et-benefique ) inutile donc d'accuser les renouvelables nous avons déjà tout ce qu’il faut à la maison...
Pour compléter la réflexion sur la relation entre renouvelables et fossiles, le graphique ci-dessous est construit à partir des données que chacun peut télécharger sur le site de RTE (https://www.rte-france.com/ )
On y voit en rouge la production mensuelle éolienne+solaire depuis 2010
La courbe noire représente la production mensuelle fossile
- Les deux courbes évoluent en sens inverse et se croisent fin 2019, il est donc clair que plus de renouvelables ne signifie pas plus de fossiles, et c'est même le contraire.
- La courbe des fossiles est fortement corrélée avec les saisons (et donc la température) et c'était même encore pire lorsque le renouvelable était négligeable au début des années 2010.
Le système français n'a donc pas attendu l'arrivée des renouvelables pour se rendre très dépendant des fossiles l'hivers grâce à notre "cher" chauffage électrique.
A lire également sur ce sujet : https://www.negawatt.org/Favoriser-le-chauffage-electrique-peu-performant-ou-fermer-les-centrales
18:15 Le modèle allemand
Ah l'Allemagne ! Le repoussoir idéal des nucléocrates, irrationnelle parce que romantique comme affirmé dans cette séquence.
Ce passage du documentaire n'échappe pas au grand classique des médias et politiques français : dresser un tableau apocalyptique de la transition allemande en s'efforçant de camoufler les résultats chiffrés qui ne vont pas dans ce sens.
Certes, tout n'est pas parfait outre-Rhin loin de là mais ce sujet mérite mieux que la caricature servie dans ce documentaire.
quelques morceaux choisis:
Documentaire : La sortie du nucléaire s'est appuyée sur le charbon
un véritable marronnier journalistique en France mais qui ne résiste pas à l'analyse des chiffres sur le temps long puisque l'électricité à base de charbon est passé de 252 TwH en 2006 à 118 TwH 2020, on pourra lire à ce sujet l'excellent article de Bernard LAPONCHE ici : https://journaldelenergie.com/nucleaire/contre-verites-allemagne-sortie-nucleaire/ , cet article aborde également les émissions de CO2 ainsi que le bilan des importations/exportations d'électricités entre la France et l'Allemagne.
Documentaire : le résultat en émissions de CO2 est décevant
Il faut néanmoins souligner qu'il y a quelques années, la rumeur disait que le CO2 avait explosé en Allemagne, on a donc progressé en passant d'une situation "explosive" à "décevante".
Curieusement les graphiques présentés de façon fugace dans le documentaire en appui de la thèse montrent une image bien différente, ainsi un graphique d'émissions de CO2 qui accompagne le commentaire présente une baisse de 1215 à 912 unités entre 1990 et 2020 soit une baisse de 27%, pas mal pour un résultat décevant !
D'autant plus que contrairement à la France, l'Allemagne s'est peu désindustrialisée au cours des 20 dernières années.
On ne saura jamais d'ailleurs si ce graphique représente le total des émissions allemandes ou seulement celles du secteur électrique.
Documentaire : les énergies conventionnelles sont restées stables pour pallier l'intermittence des renouvelables
Cette affirmation qui s'appuie sur la présentation à l'écran d'un diagramme quasi illisible est fausse en ce qui concerne l'énergie produite.
Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous (production électrique fossiles+nucléaires en TWh/an ) les énergies conventionnelles ont en fait été divisées par deux en moins de 15 ans, ce qui est logique puisque sur la même période, les renouvelables sont passées de presque rien à 50% de l'électricité allemande.
Documentaire: La production d'électricité par le gaz a augmenté en Allemagne :
Non, ce n'est pas ce que montrent les chiffres jusqu'à ce jour
Il est néanmoins possible que la situation change à l'avenir notamment pour remplacer des centrales au charbon en cogénération (production conjointe d'électricité et de chauffage urbain) par des centrales au gaz car il n'y a sans doute pas d'autres solutions dans ce cas mais au cours des 15 dernières années la consommation de gaz n'a pas évolué à la hausse
Comme on le voit ci-dessous, la production électrique à base de gaz est passée de 55TWh en 2006 à environ ...55TWh en 2019/2020 avec entre les deux des fluctuations liées aux variations des prix marché du gaz et du charbon, c'est pourquoi il est préférable de s'intéresser au total des fossiles pour avoir une vision claire de la situation.
Documentaire : L'électricité allemande est aujourd'hui la plus sale d'Europe:
Sauf... Sauf que le documentaire évite de dire qu'en 2006, c'est-à-dire avant la sortie du nucléaire, la part du fossile représentait 58% de l'électricité allemande contre 36% en 2020.
Donc la transition a plutôt amélioré la situation même s'il y a encore bien des progrès à faire.
Documentaire : Mme MERKEL tente de freiner l'éolien en réduisant les subventions
C'est une interprétation anti-renouvelables, rien de plus.
On pourrait aussi bien affirmer que les renouvelables deviennent de plus en plus compétitives et nécessitent de moins en moins de subventions :
voir https://www.irena.org/-/media/Files/IRENA/Agency/Publication/2016/IRENA_Power_to_Change_2016.pdf
Documentaire : Les éoliennes sont chinoises (et l'Europe et l'Allemagne ont perdu la main)
L'éolien n'échappe pas à la montée de la Chine comme c'est le cas dans tous les domaines industriels. En ce qui concerne le nucléaire, on pourrait d'ailleurs signaler qu'EDF semble avoir beaucoup plus de mal à mettre en route un EPR que les Chinois... (c'est un euphémisme).
Néanmoins, même si le Chinois Goldwind est 3 ème mondial dans le domaine des éoliennes terrestres, les européens gardent encore largement la main sur ce marché : https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/europe-main-marche-eolien-40999/
Et pour finir de liquider tous les mensonges diffusés en France sur la transition allemande, voici un graphique très édifiant (pas vu à la télé):
Sources:
Toutes les données chiffrées utilisées dans ce texte pour construire les graphiques proviennent du site https://energy-charts.info/?l=fr&c=DE
Pour une réfutation argumentée et détaillée des mensonges courants contre la transition allemande, voir l'article de Bernard LAPONCHE : https://journaldelenergie.com/nucleaire/contre-verites-allemagne-sortie-nucleaire/
Vous pouvez aussi lire le blog en français d’un spécialiste allemand, Hartmut Lauer, ici : https://allemagne-energies.com/introduction/
22:45 Système européen
Documentaire : Les attaques contre le nucléaire français relève uniquement d'un complot allemand visant à détruire EDF et la suprématie française sur l'électricité en s'appuyant sur les renouvelables qui font monter les prix
Tout n'est pas faux dans la dénonciation du système européen : Concurrence débridée, dérégulation obsessionnelle, etc... et pas seulement dans l'énergie.
Néanmoins la théorie du complot a ses limites et force est de constater que le nucléaire se porte mal à l'échelle mondiale, pas seulement en Europe: La part de l'électricité nucléaire dans le monde est passée de 17% en 1996 à 10,3% aujourd'hui (voir https://www.worldnuclearreport.org/ ), doit-on sérieusement croire que les allemands en sont les seuls instigateurs ?
Le nucléaire ne s'est il pas tiré une balle dans le pied tout seul avec les catastrophes de Tchernobyl, Fukushima ?
Doit-on voir un casque à pointe sous chaque errement du nucléaire français, on citera pêle-mêle:
- L'échec de Superphénix
- La dette d'EDF proche de 42 milliards d'Euros et la perspective d'un grand carénage de nos réacteurs à 110 milliards d'Euros
- La faillite d'AREVA (faut-il voir une main allemande dans le scandale Uranim ?)
- Le désastre industriel et financier des EPR de Flammanville et de Finlande ?
- La falsification des rapports de contrôle qualité dans l'usine du Creusot ?
Enfin les coûts du nucléaire augmentent en permanence, les coûts des renouvelables suivent une pente inverse, il est inévitable qu'un jour les deux courbes se croisent. Pour donner une petite idée, la Cour des comptes annonce un coût de revient supérieur à 10cts d'Euro pour l'électricité de l'EPR (et c'est aussi ce qui a été négocié à Hinckley point en Angleterre), l'éolien terrestre lui se négocie aujourd'hui à 6cts d'Euro.
Documentaire : La déréglementation est absurde et conduit à créer des "traders subventionnés" alimentés par EDF sous le prix de revient ce qui explique la faillite d'EDF
Là aussi il y a un fond de vérité car la plupart des fournisseurs apparus sur le marché de l'électricité sont souvent des parasites qui ne produisent rien, il ne faudrait néanmoins ne pas tout mettre dans le même panier et ne pas oublier l'expérience ENERCOOP qui achète de l'électricité en direct à de petits producteurs contractualisés, sans nucléaire ni fossiles.
Par ailleurs les difficultés financières d’EDF ne sont pas sans lien avec les problèmes propres à la filière nucléaire : sécurité, démantèlement des centrales et déchets
**SUITE AU PROCHAIN EPISODE**
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