dimanche 8 septembre 2024

Etat de la vilaine à Acigné : Où en est-on en 2024 ?

 Nous avions déjà alerté en 2023 sur les conséquences néfastes de la rupture d’un déversoir sur la Vilaine en amont du Moulin d’Acigné, rupture survenue en 2020, il y a donc 4 ans.

Une description plus détaillée de la situation et de ses causes est disponible ici: https://ca-acigne.blogspot.com/2023/03/la-vilaine-acigne-une-riviere-sinistree.html

En résumé :

- La rupture du déversoir a entraîné une baisse d’environ 1 mètre du niveau de la Vilaine en amont du moulin.

- Cela conduit à une dégradation du paysage, une érosion des berges de la rivière, la chute des arbres par dizaines ainsi qu’à des assecs en été à certains endroits autrefois préservés ce qui constitue une menace pour la biodiversité et les zones humides.

- Cette baisse du niveau de l’eau met en péril le club de Kayak-polo d’Acigné qui a contribué à la formation sportive de nombreux jeunes et à la renommée d’Acigné au niveau national et international au cours des années passées. La Breizhcup, rencontre annuelle de Kayak-polo avec la participation de nombreux clubs français ou étrangers ne peut plus avoir lieu, entraînant notamment des difficultés financières pour le club.

Malheureusement, la situation n’a pas changé en 2024, les berges de la Vilaine offrent toujours un triste spectacle et le club de Kayak-Polo s’enfonce dans les difficultés, sans que l’on puisse invoquer la sécheresse puisque la pluviométrie a été très surabondante sur les 11 derniers mois (912 mm à Acigné d’octobre 23 à août 24 pour une moyenne de 694mm/an entre 1981 et 2010 selon https://www.meteo.bzh/climatologie/normales/station) :


Berges de la Vilaine en mai 2024
Berges de la Vilaine en mai 2024

celui-là va bientôt tomber
Celui-là va bientôt tomber

l’organisme « Eaux et Vilaine » (https://www.eaux-et-vilaine.bzh/) a réalisé au cours de l’hiver 2024 un travail important conduisant à 3 propositions :

Proposition 1 – La reconstruction du déversoir pour revenir à la situation antérieure, chiffrée à environ 170 000€ avec un surcoût très élevé s’il faut ajouter des passes à poissons (total de l’ordre de 500 000€), cette option ne bénéficie d’aucun financement. C’est la seule solution susceptible de sauver le club de Kayak-Polo et de revenir à la situation « d’avant ».

Proposition 2 - La reconstruction partielle avec un niveau d’eau intermédiaire guère plus favorable que la solution 3 pour le club de Kayak.

Proposition 3 - La destruction totale du seuil chiffrée à moins de 100 000€ , au nom de la « continuité écologique », cette solution est entièrement financée et signerait la mort du club de Kayak.

Financièrement, tout s’oriente vers le choix de la destruction totale du seuil. Il faut bien comprendre que ce choix dit « de continuité écologique » résulte d’une interprétation française d’une directive européenne, qui en gros conduit à diaboliser les déversoirs et les seuils souvent présents depuis des siècles sur nos rivières. 

Cette vision est discutable et très discutée d’un point de vue scientifique.

Comme l’explique l’hydrobiologiste Christian Lévêque (voir note 1), tout cela repose philosophiquement sur l’idée que tout ce que construit l’être humain est par principe négatif, en référence à une nature primordiale totalement fantasmée (selon ce dogme, comment considérer les barrages construits par les castors : bien ou pas bien ? Voir https://www.especes-menacees.fr/actualites/reintroduction-castor-grande-bretagne/).

Des scientifiques se montrent ainsi très critiques sur la destruction des seuils et retenues de nos rivières:

Jacques Mudry, Professeur retraité d’Hydrogéologie à l’Université de Besançon, expert national et lauréat du prix Gilbert Catany 2023 :

« Les principes de recalibrage des cours d’eau, d’effacement des seuils, au titre du rétablissement de la continuité écologique, ont eu pour effets cumulatifs d’abaisser la ligne d’eau, de favoriser l’érosion, d’empêcher la recharge des nappes et la reproduction des poissons, d’évacuer plus vite les crues vers l’aval et par conséquent de favoriser l’assec total l’été »

Pinay et collab, 2017, CNRS – Ifremer - IRSTEA

« D’une manière générale, tout ce qui permet de ralentir l’écoulement de l’eau dans la rivière et de favoriser les échanges entre le cours d’eau et les sédiments, que ce soit la présence de seuils (petits barrages) et de mouilles, de méandres, de chenaux secondaires, d’embâcles, favorise aussi l’épuration de l’azote par dénitrification »

Dans un ouvrage récent « si les truites pouvaient parler », M. Pierre Potherat, géologue, décrit les conséquences dramatiques de ces destructions de seuils sur les rivières de la Seine amont et de l’Ource (Côte d’Or) :

« Au début du XXIème siècle, avec l’application de la continuité écologique, l’effacement planifié des ouvrages a entraîné la vidange de leurs retenues d’eau amont. La force érosive du courant aidant, l’abaissement de la cote au fil de l’eau s’est accru et, en été, dans la partie amont des cours d’eau, la nappe alluviale a fini par être complètement vidangée en raison d’une recharge de moins en moins efficace au fil des ans. Les assecs estivaux sont devenus plus fréquents et plus prolongés dans le temps. La nappe profonde qui bénéficiait de l’apport de la nappe alluviale a peiné à maintenir son niveau au préjudice de plusieurs sources du versant. (…)

En octobre 2023, cinq scientifiques ont publié un mémoire critique intitulé :  « Préservation de la ressource en eau, protection des zones humides et de la biodiversité : le rôle des petites retenues d’eau en France »:

M. Christian Lévêque (docteur es science, hydrobiologiste, ichtyologue)

M. Jean-Paul Bravard (géographe, géomorphologue, Université de Lyon)

M. Laurent Touchart (géographe, limnologue, Université d'Orléans)

M. Pascal Bartout (géographe, limnologue, Université d’Orléans)

M. Pierre Potherat (géologue)

Ce texte est accessible ici (consulté le 07/09/2024) : https://data.over-blog-kiwi.com/1/29/29/08/20240109/ob_01cbd0_avis-de-scientifiques-sur-le-role-des.pdf

On se contentera de reproduire ci-dessous une partie de la conclusion :

« La préservation des petites retenues d’eau aménagées de longue date sur nos bassins

apparaît primordiale et leur destruction nous privera des effets positifs escomptés, comme

nous le constatons en France.

Nous, hydrobiologistes, limnologues, géologues, géographes devons informer les différents

acteurs agissant dans le domaine de l’eau que la politique d’effacement des petits ouvrages

hydrauliques met immanquablement en péril la préservation de nos réserves d’eau douce, la

sauvegarde des milieux humides ainsi que la biodiversité associée. »

A noter que d’autres pays semblent prendre une direction différente avec des moyens simples :

Exemple de la Slovaquie qui construit des petits barrages de rétention en bois pour ralentir l'eau (même si un avertissement « politiquement correct » ajouté à la fin de la vidéo cherche à tempérer le contenu dans la version française)

https://www.youtube.com/watch?v=1C3gQ4QvfBI

Enfin pour aller plus loin dans cette vision critique je conseille les liens suivants :

les vidéos de la fédération des moulins de France FFAM :https://www.youtube.com/@ffammoulinsdefrance3633/videos

et en particulier :

la présentation de M. Christian Lévêque hydrobiologiste  https://www.youtube.com/watch?v=HvlwHEG5UE4&t=42s

Un exposé très détaillé sur les apports des seuils de moulins https://www.youtube.com/watch?v=yi_I1O_0h0I

L’enregistrement du débat parlementaire qui montre bien le «trouble» des politiques de tous bords à ce sujet : https://www.youtube.com/watch?v=4NopwQgJRxI avec un amendement qui permet de « sauver » les moulins qui autrement seraient voués à la destruction.

L’exemple du Thouet dans le Maine-et-Loire qui fait penser à ce que nous vivons à Acigné :https://www.youtube.com/watch?v=qKZI0CCZiyo

Il serait donc souhaitable d’examiner la situation de façon plus ouverte et d’admettre que les petits ouvrages sur nos rivières peuvent aussi avoir des avantages :

- Rétention d’eau permettant les activités nautiques

- Ralentissement des écoulements

- Amortissement des phénomènes de crues et lutte contre les inondations

- Diversification des milieux et de la biodiversité qui va avec (la biodiversité ne se limitant pas aux poissons migrateurs, les autres espèces ont aussi le droit de vivre…) et préservation des zones humides

- Alimentation des nappes phréatiques

- Maintien d’espaces aquatiques importants lors des sécheresses

- Amélioration de la qualité des eaux par dénitrification

- Possibilité d’une production électrique renouvelables (petite hydraulique)

Enfin, dans le cas d’Acigné, on peut s’inquiéter de l’avenir des zones humides qui bordent la vilaine et du risque d’assèchement lié à la baisse de 1 m constatée sur le niveau de la rivière . La fiche MNIE (milieux naturels d’intérêt écologique) indique d’ailleurs dans le paragraphe « Evolutions et menaces en cours » un risque d’assèchement.

https://www.audiar.org/storymap/mnie/fiches_mnie/13AC.pdf


Fiche MNIE sur les zones humides d’Acigné
Fiche MNIE sur les zones humides d’Acigné

On pourra aussi s’interroger sur la pérennité des investissements engagés dans le passé par la commune d’Acigné pour la construction de la base nautique.

Espérons pour Acigné que la solution de reconstruction du seuil sera choisie afin de retrouver nos beaux paysages d’antan et de permettre au club de Kayak-Polo de renouer avec sa renommée passée, quitte à être imaginatif avec par exemple une participation citoyenne au financement de cette reconstruction.

Michel Frangeul

Note (1) : Christian Lévêque, co-auteur du livre « La gestion écologique des rivières françaises – Regards de scientifiques sur une controverse » - L’Harmattan

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